Pour en finir avec la culture du viol

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« À Laval, les filles avalent », « à Ottawa, y sucent même pas », ont chanté des étudiants en droit de l’Université de Montréal lors des initiations de la rentrée, qui comportaient plusieurs activités sexistes et dégradantes.

D’autres ont jugé bon de travestir dans les réseaux sociaux le slogan de sensibilisation au consentement sexuel « Sans oui, c’est non » en message faisant l’apologie du viol : « Sans oui, c’est mieux ».

Pour qui croit encore que la culture du viol est un mythe inventé par des féministes, que les jeunes femmes d’aujourd’hui vivent dans un monde égalitaire où ces rites de passage dégradants, sexistes et idiots n’existent plus, la lecture de l’article publié samedi par mon collègue Philippe Teisceira-Lessard est un dur rappel à la réalité.

On pourrait hausser les épaules et se contenter de dire que ce ne sont là que des incidents isolés qui ne concernent qu’une petite minorité d’étudiants au jugement altéré par l’alcool. On pourrait réduire l’incident à une simple affaire de choix personnels de jeunes majeurs et consentants. On pourrait dire qu’il faut que jeunesse se passe. Ou que les étudiantes qui ont participé à ces activités sexistes l’ont cherché…

On pourrait dire tout ça. Mais ce serait encore une fois banaliser l’inacceptable. Ce serait oublier le fléau que cachent ces prétendus « incidents isolés » : une personne sur trois a été victime de harcèlement ou d’agression sexuelle depuis son arrivée à l’université, révélait en mai une enquête menée dans six campus au Québec. Le plus souvent, les victimes sont des étudiantes de premier cycle.

Ce qui s’est passé à la faculté de droit de l’Université de Montréal n’est ni nouveau ni propre à cette faculté ou à cette université. Cela fait des décennies que ça dure. Chaque rentrée, des activités d’initiation stupides, perpétuant la culture du viol, ont lieu dans des campus universitaires. Chaque rentrée, on entend des dénonciations. Et puis… rien. L’année suivante, les mêmes activités béotiennes recommencent ailleurs (et parfois au même endroit).

Il y a dans cette répétition quelque chose de désespérant. Plus ça change, plus c’est pareil, dira-t-on. Ce n’est pas tout à fait vrai. Ces dernières années, des étudiantes et des professeures, préoccupées par cette question, ont pris le problème à bras-le-corps et ont tenté de faire bouger les choses. Des journaux étudiants ont dénoncé des comportements perpétuant la culture du viol – comme l’a fait cette fois-ci Le Pigeon dissident, le journal des étudiants en droit de l’Université de Montréal. Mais au-delà de la gestion de crise qui suit chaque incident rapporté dans les médias, les écoute-t-on vraiment ?

Une fois l’attention médiatique passée, les directions des universités prennent-elles vraiment le sujet au sérieux ?

Quand j’entends la ministre responsable de l’Enseignement supérieur, Hélène David, dénoncer haut et fort les incidents sexistes rapportés à la faculté de droit de l’Université de Montréal, je me dis qu’il y a quand même de l’espoir. Même si on parle de plus en plus d’incidents à caractère sexuel dans les campus universitaires depuis quelques années au Québec, jamais n’avait-on encore entendu un ou une ministre envoyer un message aussi clair à ce sujet : de tels comportements sont inacceptables. 

Que des étudiants, futurs avocats et juges dans le cas qui nous concerne, aient de telles attitudes est inadmissible. « Les mentalités doivent changer, j’y travaillerai sans relâche », a déclaré la ministre.

« Voilà un pas dans la bonne direction », me dit Simon Lapierre, professeur à l’École de service social de l’Université d’Ottawa, qui rappelait récemment, dans un texte éclairant sur les universités et la culture du viol, l’importance de sortir du déni entourant cette question. Contrairement à ce que certains prétendent, l’expression « culture du viol » ne signifie pas que tous les hommes sont des violeurs et que toutes les femmes sont victimes de violence sexuelle, précise-t-il. Mais il faut reconnaître que la violence sexuelle en milieu universitaire atteint un niveau alarmant. Il faut admettre que le fléau ne serait pas toléré s’il n’existait pas un contexte (organisationnel, politique, social) qui permet qu’il le soit. Un contexte où on banalise la violence sexuelle, minimise ses conséquences, déresponsabilise les agresseurs et blâme les victimes.

Tout en saluant la prise de position claire de la ministre Hélène David, Simon Lapierre aurait souhaité qu’elle aille plus loin encore. La ministre a dit que les universités doivent « serrer la vis ».

« Je crois que le gouvernement devrait lui-même serrer la vis aux universités qui, clairement, ne jouent pas un rôle de leadership. » — Simon Lapierre, professeur à l’École de service social de l’Université d’Ottawa

Le gouvernement du Québec aurait intérêt à s’inspirer du gouvernement de l’Ontario, où une loi force les collèges et les universités à mettre en place des mesures pour prévenir la violence sexuelle, croit Simon Lapierre.

Qu’en pense Hélène David ? Il est trop tôt pour le dire. La ministre, qui n’exclut pas la possibilité de mettre sur pied un comité spécial qui se pencherait sur cet enjeu, va commencer par rencontrer la direction des universités et les associations étudiantes. Elle promet d’être de tous les combats pour qu’émerge une prise de conscience collective beaucoup plus poussée sur ces questions. Souhaitons qu’elle puisse mettre en place les mesures qui permettront enfin de passer de la parole à l’action.

Publié sur La Presse +