Elle poursuit son ex conjoint violent pour 1 M$

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Craignant des représailles, la Montréalaise de 35 ans nous a demandé de ne pas publier son nom de famille. Cette femme à l’allure calme et réservée est l’une des très rares victimes de violence conjugale à poursuivre au civil un ex-conjoint violent.

Monica a rencontré Craig O’Brien sur leur lieu de travail; elle avait 23 ans lorsque leur relation a débuté, en avril 2004. Un an plus tard, le couple décide de faire vie commune, mais rapidement Monica découvre que son conjoint est de plus en plus violent, autant physiquement que psychologiquement.

«Il était très manipulateur, il avait des rages de violence, ça venait par vagues, des hauts, des bas, mais jamais aussi pire que le soir du 18 septembre 2012», se souvient-elle. Ce soir-là, Craig O’Brien est rentré plus tôt du travail, poursuit Monica. «Il était sous l’effet de l’alcool et de la drogue. Il s’est mis à cracher sur moi, à me pousser, à me frapper», relate-t-elle, encore émue.

Pendant quatre jours, Monica sera prisonnière de leur appartement, sauvagement battue par son conjoint qui, au passage, lui a fracturé pour une deuxième fois en quatre mois le même doigt, l’auriculaire. «J’avais des bleus partout, la tête ensanglantée et tellement d’ecchymoses qu’il m’empêchait de dormir de peur que je ne me réveille pas, relate-t-elle. Le vendredi, vers 13 h, j’étais seule dans la chambre, certaine qu’à la fin de la journée je ne serais plus vivante.»

« J’ai prié… »

Monica a miraculeusement pu fuir son bourreau à la faveur d’une visite impromptue du concierge de l’immeuble. «J’ai prié, j’ai juré que si je m’en sortais, j’allais me défendre», ajoute-t-elle.

Craig O’Brien a été condamné au criminel à neuf mois de prison par un juge de la Cour du Québec pour les actes commis à l’endroit de Monica lors de ces quatre jours de septembre 2012. L’homme de 36 ans a purgé quatre mois de sa peine en prison et sera complètement libre dès le 18 décembre prochain.

«Il est en ce moment dans une maison de transition, je peux déjà le croiser n’importe quand dans la rue», regrette Monica qui souhaite que son ex-conjoint réalise les conséquences de ses gestes.

Dans une requête en réparation de dommages, cette fois au civil, Monica réclame maintenant 913 183 $ à son ex-conjoint. Cette somme tient compte des dommages psychologiques et des séquelles physiques permanentes, des pertes de revenus de la victime qui, à ce jour, n’a pu retourner au travail, et comprend un dédommagement de 100 000 $ par journée de séquestration.

«Ma cliente serait peut-être morte si elle n’avait pu s’enfuir. La somme réclamée ne tient pas compte de la capacité de payer de monsieur, mais de l’effet dissuasif visé, explique Me Daniel Romano. Combien ça coûte de séquestrer, battre une femme avec l’intention de tuer et en la privant de manger? Le but est d’envoyer un message clair à la société», plaide l’avocat de la victime.

«Ce qu’il a fait ne se fait même pas à un animal. Je ferai tout pour dénoncer», promet Monica.

Extraits de la requête

« Le demandeur a, entre autres…

  • Infligé un coup à la tête de la demanderesse avec un téléphone de maison
  • Piqué la demanderesse avec une fourchette, tiré les cheveux de la demanderesse
  • Craché sur la demanderesse à maintes reprises
  • Frappé la demanderesse à main ouverte à la tête
  • Administré de multiples coups aux cuisses et aux bras de la demanderesse
  • Administré des coups de genoux à la demanderesse
  • Manuellement contorsionné le gros orteil du pied droit de la demanderesse
  • Manuellement brisé le cinquième doigt de la main droite de la demanderesse. »

« La demanderesse a subi les blessures suivantes :

  • Lacération à la lèvre supérieure
  • Lacération à la tête
  • Nombreux hématomes à la tête
  • Quatre côtes contusionnées
  • Ligaments du gros orteil droit déchirés »

Des sentences de prison trop légères

Méconnue des victimes de violence conjugale, la poursuite au civil pour obtenir réparation semble être une avenue très rarement empruntée, affirment les responsables de maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

«Je vois de moins en moins de femmes porter plainte au criminel contre leur ex-conjoint à cause de la lourdeur des procédures et des peines trop légères. Alors des poursuites au civil… Moi, je n’en ai jamais vues», affirme Nancy Gough, présidente de l’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape. «Il faut être très forte et motivée pour poursuivre un conjoint violent au civil. Ça peut avoir un effet réparateur, mais de l’argent, après une vie brisée à jamais, c’est un peu dérisoire et ça peut faire revivre un vécu douloureux», ajoute-t-elle.

Depuis une dizaine d’années, nous avons repéré trois décisions en faveur de femmes qui ont poursuivi au civil un ex-conjoint violent. Les jugements font état de montants de 5000 à 29 000 $ accordés aux victimes. Les centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) voient très peu de femmes qui souhaitent aller aussi loin.

La honte

«Il est extrêmement difficile de se sortir de la violence conjugale. Quand les femmes le font, c’est dans la honte, sans tambour ni trompette», observe la porte-parole Valérie Létourneau.

«C’est très rare, au Québec, que des victimes de violence conjugale réclament des sommes. Il faut un conjoint qui a les moyens de payer. Nous, on s’est plutôt battues pour qu’un régime public, l’IVAC, dédommage les victimes», explique Louise Riendeau, porte-parole du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

Faire jurisprudence

Me Daniel Romano, avocat de Monica, qui réclame 913 183 $ à son ex-conjoint violent, croit que les victimes de violence conjugale doivent sortir de la honte et dénoncer. «Il y a peu de jurisprudence en la matière. J’espère que nous allons inspirer d’autres victimes à poursuivre au civil», lance-t-il.

Depuis 2013, le délai de prescription pour qu’une victime puisse intenter une poursuite civile contre son agresseur est passé de trois à dix ans pour la plupart des crimes au Québec.

RESSOURCES VIOLENCE CONJUGALE

SOS violence conjugale:

  • 1 800 363-9010
  • 514 873-9010

Les centres d’aide aux victimes d’actes criminels, les CAVAC :

  • 1 800 532-2822

Lire l’article du Journal de Montréal